Réponse du gouvernement sur la politique de rétention et sa gestion (2ème Partie)

Réponses des ministres de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, de l'économie et des finances, du budget, et du porte-parole du gouvernement à la Cour des Comptes

II- Les résultats de la politique d’éloignement

B- L'augmentation du nombre des reconduites
La Cour souligne les améliorations sensibles qui ont pu être constatées dans le fonctionnement des services en charge de la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment au travers de la forte diminution du taux d’annulation des mesures de reconduite frontière par les tribunaux
administratifs (on constate une diminution globale et constante du taux d’annulation des mesures de reconduite à la frontière (15.93% en 2005, 16.8 % en 2004 et 17.1% en 2003), cette diminution étant d’autant plus significative que le nombre de recours déposés devant les juridictions administratives a progressé pour sa part de plus de 84% entre 2003 et 2005) et de l’accroissement du taux de délivrance des laissez-passer consulaires (le taux global de délivrance s’est sensiblement amélioré, passant de 26.9% pour l’année 2003 à 45.73% en 2005). Cette mobilisation s’est concrétisée par une très forte augmentation du nombre d’étrangers en situation irrégulière effectivement éloignés. En effet, entre 2002 et 2005, le nombre de reconduites a progressé de presque 88%, passant de 10562 à 19849. Néanmoins, la Cour estime que les moyens mis en oeuvre pour assurer le doublement du nombre de mesures d’éloignement exécutées ne se sont pas accompagnés d’actions sur les dysfonctionnements observés en amont à divers stades de la procédure. Ainsi, la Cour note que seuls 27% des mesures prononcées et 17% des étrangers en situation irrégulière interpellés au cours de l’année 2005 ont fait l’objet d’un éloignement effectif. Il convient tout d’abord de réaffirmer que la définition d'un objectif quantitatif a été préférée à la fixation d'un taux d'exécution global des mesures d'éloignement qui ne rend qu'imparfaitement compte de la réalité de la lutte contre l'immigration irrégulière. En effet, une amélioration du taux d'exécution des mesures d'éloignement ne signifie pas que le nombre de mesures effectivement exécutées a progressé. Or, l’augmentation de ce nombre en valeur absolue apparaît bien de nature à restaurer la crédibilité de la politique de gestion des flux migratoires. Par ailleurs, les faibles taux de reconduite relevés au regard du nombre d’interpellations et de prononcés d’une mesure s’expliquent par divers facteurs. En effet, toutes les interpellations d'étrangers en situation irrégulière ne donnent, par définition, pas nécessairement lieu au prononcé d’un arrêté de reconduite à la frontière.

Au-delà des situations dans lesquelles les délais de garde à vue ne permettent pas à l'administration de réaliser un examen de la situation de l'étranger et de prononcer un arrêté de reconduite à la frontière, plusieurs facteurs peuvent expliquer les faibles rapports constatés. Ainsi, le ministère de l'intérieur a entrepris depuis 1998 de développer la notification des APRF par voie postale. Cette politique, réaffirmée dans le cadre de la circulaire du 22 octobre 2003 relative à l'amélioration de l'exécution des mesures de reconduite à la frontière, permet de faire courir les délais contentieux et offre ainsi la possibilité, lors d'une interpellation par les services de police ou de gendarmerie, de mettre à exécution une mesure d'éloignement devenue définitive. Or, toutes les mesures prononcées sur ce fondement ne sont pas mises à exécution au cours de l’année de référence. Par ailleurs, et plus généralement, les nombreuses interpellations ou mesures prononcées ne peuvent systématiquement être menées à terme en raison des nombreux obstacles rencontrés lors de la mise à exécution de la mesure. Ainsi, les annulations des mesures par la juridiction administrative, les décisions des juges des libertés et de la détention défavorables à l’administration à l’occasion de l’examen des demandes de prolongation ou l’absence de délivrance de laissez-passer consulaires constituent autant de freins à la mise en oeuvre effective des mesures d’éloignement.
C- La mesure des résultats obtenus
La Cour estime que les statistiques fournies par le ministère n’apparaissent pas totalement cohérentes, ce qui fait douter de leur fiabilité. A ce titre, la Cour indique que le nombre des éloignements n’ayant pas abouti en 2005 (qui correspond pour la Cour à la différence entre le nombre de mesures prononcées et le nombre de mesures exécutées sur l’année) ne correspond pas à la somme des mesures non transmises au bureau de l’éloignement de la DCPAF et des mesures non exécutées par ce bureau. De même, les données centralisées par la DLPAJ à partir du recueil statistique effectué par les préfectures ne portent, pour l’année 2005, que sur moins de la moitié des éloignements non exécutés dans l’année. Le décalage constaté s’explique par l’absence de mise à exécution, pour une année considérée, de l’ensemble des mesures prononcées. La différence entre ces deux catégories d’actes n’est donc pas pertinente pour assurer une comparaison fiable. Dans ce cadre, aux différents éléments de réponse déjà fournis tenant notamment au développement de la notification des APRF par voie postale, à l’annulation des mesures par la juridiction administrative, aux décisions défavorables des juges des libertés et de la détention ou à l’absence de délivrance de laissez-passer consulaires, il doit être ajouté la recherche d’efficacité visant à adapter le dispositif administratif et policier à la situation concrète des étrangers susceptibles de faire l’objet d’une mesure d’éloignement. D’une manière générale, la Cour déplore l’analyse insuffisante des résultats obtenus en regard des moyens mis en oeuvre par les services en charge de la lutte contre l’immigration irrégulière dans l’exercice de leur mission. On notera à cette fin qu’afin d’accompagner la politique de pilotage par objectif de la lutte contre l’immigration irrégulière, le ministère de l’intérieur a mis en place différents outils institutionnels chargés d’assurer l’analyse des résultats obtenus. Ainsi, au plan local, une circulaire du 23 août 2005 a organisé la mise en place de pôles départementaux d’immigration. Ces structures, composées des services de police et de gendarmerie, des magistrats, des bureaux des étrangers des préfectures assurent, sous l’autorité du préfet de département l’analyse de l’ensemble de l’information opérationnelle relative à la lutte contre l’immigration et déterminent les moyens d’action les plus efficaces. Par ailleurs, l’administration centrale du ministère de l’intérieur a mis en place un centre national d’animation et de ressources. Cette structure, inter-directionnelle (DCPAF, DLPAJ), a notamment en charge le pilotage de la politique d’éloignement par la définition et le suivi des objectifs départementaux d’éloignement et par l’animation d’un réseau des acteurs locaux de l’éloignement. L’exercice de ces missions induit des déplacements dans les départements. Ainsi, depuis le mois de février 2005, 36 déplacements dans les départements de la France métropolitaine ont été effectués. Organisées sous forme de journées d’échanges, ces visites permettent d’une part d’apporter conseils et appui aux différents acteurs locaux de l’éloignement par la création d’un réseau des acteurs de l’éloignement et la mutualisation de bonnes pratiques et, d’autre part, d’identifier au mieux les difficultés auxquelles les services en charge de la lutte contre l’immigration irrégulière sont confrontés. Ces déplacements, qui ont concerné en premier lieu les préfectures dont les objectifs en matière d’éloignement étaient les plus importants, sont aujourd’hui consacrés aux départements de strate moyenne et inférieure dont les résultats en matière d’éloignement apparaissaient faibles. Concentrées sur l’analyse d’un territoire, périmètre jugé plus pertinent afin d’évaluer plus efficacement les effets des actions menées localement, ces visites permettent d’analyser les difficultés rencontrées dans l’exécution des mesures d’éloignement et de recenser les bonnes pratiques en rencontrant l’ensemble des acteurs judiciaires et administratifs de l’éloignement. Cette approche territoriale permet d’assurer un suivi et une analyse plus efficace des situations tout en proposant des solutions concrètes et adaptées sur la base des expériences rencontrées dans l’ensemble des départements visités.
Elle permet en outre d’analyser dans le détail les causes d’échec à l’exécution des mesures d’éloignement. Par ailleurs, il convient de souligner que la DCPAF assure un suivi statistique des causes et du pourcentage d’inexécution des mesures d’éloignements dans le cadre des saisines du BUREL. Ainsi, au titre des 10 premiers mois de l’année 2006, sont relevés sur 6 097 échecs à l’éloignement :

􀂾 5 219 annulations préfectorales résultant pour 2 042 individus (39.13 %) d’une décision des juridictions judiciaires ou administratives ; pour 1 130 individus (21.65 %) d’une carence de laissez-passer consulaires ; pour 347 individus (16.23 %) de l’absence de présentation d’un étranger à sa convocation ; pour 1200 individus (22.99%) de motifs divers tenant, à une libération par la préfecture (146 cas soit 2.80 %), à l’absence de l’étranger à son domicile (185 cas soit 3.54 %), à la saturation du centre de rétention (145 cas soit 2.78 %), à une demande d’asile politique (86 cas soit 1.65 %), à une erreur matérielle dans le dossier du reconduit (145 cas soit 2.78 %).

􀂾 551 échecs pour refus d’embarquement.
􀂾 327 échecs pour absence de moyens de transport. Sur le suivi des causes de refus de prolongation de la rétention par le juge de la liberté et de la détention, les motifs ne sont jamais communiqués au BUREL de la DCPAF. Les préfectures se contentent en ce domaine d’adresser une annulation de la demande initiale sans préciser le motif qui a conduit le magistrat à décider de la libération d’une personne. De plus, tout suivi par le service policier à la base de l’interpellation apparaît totalement illusoire. Les recours surgissent à plusieurs stades de la rétention, bien après la clôture de la procédure initiale, et les placements en C.R.A., gérés selon une approche nationale, suppriment toute possibilité de communication établie localement. Aussi, et en complément des analyses effectuées d’une part à l’échelle départementale et d’autre part par la DCPAF, le ministère a souhaité doter les services en charge de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière d’une application informatique capable d’apporter à la fois une cohérence dans le suivi des procédures des préfectures et dans la gestion des différents centres de rétention administrative par les services de police ou de gendarmerie compétents. Dans ce cadre, il a été décidé d’utiliser et d’étendre au niveau national une application dont les développements étaient particulièrement avancés dans le département des Pyrénées Orientales et à la Direction centrale de la police aux frontières. Il s’agissait des applications SIRSEI (Système Informatisé en Réseau de Suivi des Etrangers Incarcérés) et SUEDEE (Suivi des Etrangers devant Etre Eloignés)-DDPAF 66- qui ont été regroupées avec deux autres programmes - GESTEL (Gestion de l’éloignement par la DCPAF) et SUICRA (programme de suivi des centres de rétention administrative géré par la DLPAJ) - en un seul projet nommé ELOI.

La mise en oeuvre effective, dans les prochains mois, d’ELOI assurera une homogénéisation des pratiques et permettra un suivi statistique précis de l’ensemble des causes d’échec à l’éloignement.

D- Le coût de la politique d’éloignement

La Cour pointe en premier lieu l'absence d'évaluation du coût global de la politique d'éloignement et s'étonne que le coût de fonctionnement des centres ne soit toujours pas établi avec précision. Elle considère que « l'estimation par la DAPN d'un coût annuel de l'ordre d'1 M€ pour l'ensemble ces CRA de métropole et d'outre-mer [ne peut] être considérée comme significative et fiable d'autant que les dépenses concernant certains CRA ne sont pas renseignées ».
Cette remarque est pour partie justifiée même si la responsabilité n'en incombe pas uniquement à la Police nationale. J'ajoute que le rapport de la Cour des comptes porte sur les années 20003, 2004 et 2005, donc avant l'entrée en vigueur de la LOLF. Deux éléments de réponse peuvent être apportés à la Cour sur ce premier point :
- d'une part le coût de fonctionnement interne d'un grand nombre de CRA (13 au total) est actuellement supporté par l'administration pénitentiaire (et ce jusqu'au 1er janvier 2007). La Police nationale n'a donc guère de visibilité sur une dépense exécutée par un autre ministère.
La gestion "hôtelière" de l'ensemble des CRA par la Police nationale à partir du 1er janvier prochain suite au désengagement de l'administration pénitentiaire va considérablement faciliter le suivi de la dépense et permettre d'avoir une vision globale du coût puisque désormais tous les CRA construits et gardés par la Police nationale seront également gérés par elle pour leur
fonctionnement courant.
- d'autre part, il est exact que malgré des relances régulières, les remontées d'informations des préfectures sur les dépenses effectuées par elles en matière de rétention administrative sont très lacunaires. Le système actuel fait que l'exécution de la dépense relative aux CRA est "éclatée" entre 100 préfectures, 8 SGAP et 9 SATP. L'entrée en vigueur de la LOLF permet désormais d'assurer un suivi amélioré de la dépense de fonctionnement et d'équipement. En effet, par l'infocentre INDIA, en effectuant des requêtes multi-critères par compte du plan comptable de l'Etat (alimentation, blanchisserie, traductions, etc…), par code ordonnateur (les 100 préfectures, les SGAP), par action LOLF d'imputation (en l'occurrence l'action 4 "police des étrangers et sûreté aéroportuaire internationale") et par BOP (en l'occurrence le BOP 1 "commandement et soutien" où figurent les crédits pour l'éloignement hors billetterie) il est désormais possible d'avoir un suivi satisfaisant de la dépense de rétention administrative.

Au 3 novembre 2006, 14 M€ ont été consommés et 25,9 M€ engagés pour les dépenses de rétention administrative (et de délivrance des laisser-passer consulaires). Cette situation est conforme à celle envisagée lors de l'élaboration du PEC 2006. Il convient de noter que la Direction Générale de la Police Nationale va très prochainement adresser une circulaire aux préfectures et aux SGAP pour leur repréciser les comptes PCE à utiliser afin d'éviter une hétérogénéité qui serait préjudiciable au suivi de la dépense. Parallèlement, il est envisagé de demander aux préfectures de ne plus transmettre les tableaux d'emplois des crédits de l'ex-article 27, ces remontées étant lacunaires et ne fournissant aucune information qu'INDIA ne produise déjà. La haute juridiction financière estime également que l'évaluation du coût global de la politique de lutte contre l'immigration clandestine est discutable. Ce dernier point est inexact dans la mesure où l'évolution de la dépense depuis 2004 a été précisément évaluée en application de la méthode de la "justification au premier euro". Il est exact cependant que ce montant ne comprend pas les seules dépenses d'éloignement mais toutes les dépenses liées à la lutte contre l'immigration clandestine. La Cour déplore aussi que la DGPN ne soit pas en mesure d'établir un coût analytique global de l'éloignement d'un étranger en situation irrégulière, alors qu'il s'agit là d'un indicateur du projet annuel de performance de la Police nationale. Il est exact que dans le projet annuel de performances 2006 l'indicateur relatif au coût d'une rétention (et non d'un éloignement) en CRA police n'était pas renseigné. Il l'est dans le PAP 2007 même si son mode de calcul est encore perfectible, notamment parce qu'il n'intègre pas pour l'heure les dépenses de masse salariale (ce qui devrait être possible en 2007 avec le déploiement complet de la MCI dans les services de la PAF). Les restitutions fournies par INDIA permettront également d'avoir une meilleure vision des dépenses de fonctionnement liées à la rétention.
Enfin, la Cour constate avec regret que l'indicateur figurant au PAP sur le taux de remise en liberté de personnes placées en rétention administrative n'est pas renseigné. Le logiciel "ELOI" actuellement en phase de test par la DLPAJ dans les CRA et les préfectures devrait permettre de remédier, en 2008, à cette situation.


Réponse du ministre de l'économie et des finances et du ministre délégué au budget et à la réforme de l'état, porte parole du gouvernement

L’insertion au rapport public annuel de la Cour des comptes sur « La rétention des étrangers en situation irrégulière » appelle les remarques suivantes. Le rapport met en exergue l’absence d’évaluation véritable du coût global de la politique d’éloignement. Il signale notamment la difficulté pour obtenir des coûts de fonctionnement des centres de rétention administrative, l’intégration des postes de dépenses n’étant pas homogène d’un centre de rétention à l’autre. Il semble que de ce point de vue, la présentation en missions-programmesactions, avec une action dédiée à la police des étrangers et à la sûreté des transports internationaux, ait permis d’établir plus clairement les frais de fonctionnement des centres de rétention administrative. Le rapport évoque l’absence de mesure du coût complet de l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière, lequel devrait reposer, non seulement sur l’évaluation des dépenses dans les centres, mais également sur la valorisation des dépenses relatives aux phases amont et aval de la rétention (transports, escortes). Sur ce point, les crédits relatifs à la phase aval sont désormais retracés dans la justification au premier euro du projet annuel de performances. Nous mettrons à l’étude, en liaison avec le ministre de l’intérieur, l’identification des dépenses amont dédiées à la politique de l’éloignement. Enfin, vous critiquez le non-renseignement des trois indicateurs de
performances relatifs à cette politique. Dans le projet annuel de performance pour 2007, deux de ceux-ci ont été renseignés ; seul demeure à renseigner l’indicateur relatif au taux de remise en liberté des personnes placées en rétention pour vice de procédure. Les données nécessaires devraient être disponibles en 2007.

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