La rétention des étrangers en situation irrégulière,
(Rapport de la Cour des Comptes, 2007)
1ère Partie- Les conditions de la rétention administrative)
Les centres et les locaux de rétention administrative (CRA et LRA) sont utilisés pour retenir les étrangers en situation irrégulière avant leur éloignement du territoire national. Leur gestion est placée sous la responsabilité de la direction générale de la police nationale ou de la direction générale de la gendarmerie nationale. En juin 2006, dix-neuf centres de rétention administrative (seize gérés par la police, trois par la gendarmerie) étaient en service en métropole et trois outre-mer. Les centres de rétention administrative ont été créés le 5 avril 1984 par décision du Premier ministre et mis en place par le biais de simples circulaires sur le fondement de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Pendant longtemps, aucun texte réglementaire n’a fixé ni les lieux d'implantation ni le nombre de centres autorisés. Aucune condition particulière n'était requise pour ouvrir et gérer de tels lieux jusqu’à ce qu'un décret du 19 mars 2001 suivi de deux arrêtés interministériels du 24 avril 2001 viennent fixer la liste des CRA et définir les aménagements dont ceux-ci devaient bénéficier dans un délai de trois ans. Entre-temps, le fonctionnement des centres de rétention a subi l’impact, d’une part, de la décision prise en 2003 par le ministre de l'intérieur de doubler, dès l’année suivante, le nombre d’étrangers éloignés du territoire national en le faisant passer de dix à vingt mille, d’autre part, de l’allongement de la durée maximale de rétention, portée de 12 à 32 jours par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers et à la nationalité.
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, entré en vigueur le 1er mars 2005, dispose que peuvent être placés dans des lieux de rétention ne relevant pas de l’administration pénitentiaire les étrangers faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière ou d’un arrêté d’expulsion, ainsi que ceux qui se trouvent en instance de réadmission dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Pris en application dudit code, un décret du 30 mai 2005 relatif à la rétention administrative et aux zones d’attente a abrogé le décret du 19 mars 2001 en introduisant certaines améliorations sur les aménagements exigés tout en repoussant jusqu’au 31 décembre 2006 l’obligation de mise aux normes des locaux. La question des CRA et des LRA avait déjà été évoquée dans le rapport public particulier que la Cour avait consacré, en novembre 2004, à l’accueil des immigrants et l’intégration des populations issues de l’immigration. Elle recommandait notamment d’améliorer l’implantation immobilière des centres et de procéder à un recensement et à un contrôle des locaux de rétention. La Cour a décidé de procéder en 2006 à un examen plus approfondi et actualisé de cet aspect particulier de la
politique de reconduite aux frontières des étrangers en situation irrégulière.
I - Les conditions de la rétention administrative
A - Les conditions matérielles
Jusqu’en 2005, les conditions matérielles de la rétention n’ont pas respecté les obligations imposées à l'administration par l'arrêté interministériel du 24 avril 2001, pris en application du décret du 19 mars 2001 précité. L’aménagement des locaux n’a pas été mis en conformité à
l’échéance prévue du 31 décembre 2004. Des manquements a l’exigence d’espaces réservés aux femmes, de locaux de visite et d’un lieu de promenade extérieure ont été observés dans de nombreux CRA. Dans plusieurs CRA, parmi les plus importants, les conditions sanitaires et d’hygiène réservées aux étrangers étaient très dégradées et constituaient parfois une véritable atteinte à la dignité humaine. Elles ont été dénoncées par maints rapports dont, en dernier lieu, celui du Conseil de l’Europe de février 2006 sur le respect effectif des droits de l’homme
en France.
S’agissant des centres présentant les conditions matérielles d’accueil les plus vivement critiquées, il a fallu attendre mai 2006 et l’ouverture du nouveau CRA de Marseille-Le Canet pour que le centre de Marseille-Arenc soit enfin fermé, et juin de la même année pour qu’il en soit de même de la section des hommes du Palais de justice de Paris, transférée dans le CRA de Vincennes. Par ailleurs, un programme d’urgence a été mis en oeuvre en 2005 qui a en partie porté ses fruits. Doté d’un budget de 2 M€, il a permis d’améliorer l’état des locaux existants et de les munir d’un certain nombre d’équipements élémentaires faisant défaut jusqu’alors. Enfin, la commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d’attente, instituée par la loi du 26 novembre 2003 et organisée par le décret du 30 mai 2005 n’a été installée qu’en mars 2006. Chargée de veiller au respect des normes d’hygiène, de salubrité, de sécurité et d’aménagement, ainsi que des droits des étrangers dans les lieux de rétention, cette commission a le pouvoir de formuler des observations et des recommandations dans un rapport annuel.
B - L’exercice des droits des étrangers
L’information des étrangers retenus sur leurs droits ainsi que les conditions d’exercice de ces derniers sont restées insuffisantes. Jusqu’à une date récente, les centres n'avaient pas tous établi de règlement intérieur conforme, trois ans après la publication des textes le rendant obligatoire. Le recours à un interprète, prévu par l'article 35 bis de l'ordonnance de 1945 modifiée, est resté purement formel, de même que l’assistance d’un conseil. L'absence d’information préalable des étrangers sur leurs déplacements (audiences, présentation au consulat, embarquement), pourtant rendue obligatoire par le modèle de règlement intérieur de 2001, a été la source de fortes tensions dans les CRA. Des améliorations récentes ont été apportées en ce qui concerne le règlement intérieur. Des arrêtés du 2 mai 2006 ont réaffirmé l’obligation d’afficher le règlement traduit dans les langues les plus couramment utilisées afin de permettre la correcte information des étrangers sur l’exercice de leurs droits. En revanche, la situation reste toujours préoccupante s’agissant du droit de recourir à un interprète pendant toute la durée de la rétention, rappelé par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (article L.551-2). Aucune disposition n’est prise pour le mettre en oeuvre effectivement ce qui rend difficile, en particulier, les demandes d’asile qui doivent être formulées en français. De même, les dysfonctionnements relatifs à l’information préalable des étrangers sur leurs déplacements, désormais aussi inscrite dans le code (article L.553-5), ne sont pas levés.
C - Le renforcement tardif des capacités d’accueil
Les conditions de vie dans les CRA se sont fortement dégradées entre 2002 et 2005 en raison de l’augmentation des décisions de placement en rétention et surtout de l’allongement de la durée moyenne de séjour dans les centres qui a doublé de 5,3 à 10,2 jours. Le nombre moyen d’étrangers hébergés quotidiennement est passé de 370 en 2002 à 840 en 2005. La capacité totale d’accueil n’a pas évolué au même rythme. Le taux moyen d’occupation des centres s’est donc élevé de 55 % à 83 %. Avec des taux moyens de plus de 90 % en 2005, des CRA comme ceux de Paris, Bobigny ou Marseille, sont souvent arrivés à saturation. Le ministère de l’intérieur avait prévu de faire face au doublement des éloignements, d’une part, par un plan d'urgence prévoyant l'ouverture de 265 places supplémentaires avant la fin de 2004 d’autre part, par un programme dit « CRA-1000 » portant sur la construction de dix centres supplémentaires d'une capacité totale de 1000 places dans le cadre d’une procédure de location avec option d’achat sous maîtrise privée. Le programme CRA-1000 n’a pu voir le jour. En revanche, le plan d'urgence a été mis en oeuvre, pour plus de la moitié grâce à l’extension des locaux existants, l’occupation de nouveaux locaux plus vastes et la restitution au centre du Mesnil-Amelot des places prélevées en 2003 par la zone d’attente de Roissy. Pour le reste, l’accroissement des capacités d’accueil a été obtenu à superficie constante, ce qui a aggravé la promiscuité dans les centres. Au total, le nombre de places disponibles dans les CRA de métropole est passé de 682 en janvier 2003 à 944 en juin 2005, loin de l’objectif affiché initialement de 1215 à la fin 2004. L’adaptation de la capacité d’accueil des CRA aux nouveaux objectifs quantitatifs de la politique d’éloignement n’a été effective qu’à compter de 2006 avec l’ouverture de quatre nouveaux centres (Marseille-Le Canet, Toulouse-Blagnac, Roissy-Charles de Gaulle, Plaisir), l’extension de deux centres existants (Vincennes, Lille) et l’augmentation de places sans extension des locaux dans deux centres (Rouen, Bobigny).
En ajoutant les travaux accomplis sur les sites relevant de la gendarmerie nationale (création des centres de Metz et de Rennes, aménagement de celui de Strasbourg), la capacité totale des CRA de métropole devait atteindre 1.537 places en janvier 2007.
D - Les locaux de rétention administrative
1 - Un régime à deux vitesses
Le décret du 19 mars 2001 avait prévu la possibilité, lorsque les circonstances de temps ou de lieu font obstacle au placement immédiat dans un CRA, de placer l'étranger dans un local de rétention administrative (LRA) ouvert par arrêté préfectoral, généralement dans un commissariat. Comme ces locaux n'offrent pas les mêmes conditions d’accueil ni les mêmes garanties de respect des droits des étrangers, le placement doit y revêtir un caractère provisoire. Sa durée ne peut excéder 48 heures sauf en cas de recours, s'il n'existe pas de centre de rétention dans le ressort du tribunal administratif ou de la cour d'appel. Le décret du 30 mai 2005 n’a pas supprimé l’existence d’un tel système à deux vitesses. Il a néanmoins renforcé les contraintes imposées à l’aménagement des LRA qui doivent désormais disposer d’une pièce réservée aux avocats comme les CRA. Cependant, de grandes différences subsistent entre les deux régimes de rétention. Les exigences d'aménagement et d’équipement des LRA demeurent beaucoup plus sommaires. Ainsi, la salle réservée au service médical, l’espace de promenade à l’air libre et la salle de détente n’y sont pas obligatoires. L’exercice effectif des droits des étrangers retenus n’est pas entouré des mêmes garanties. Dans les centres de rétention, la réglementation impose l’intervention d’une association à caractère national ayant pour objet d’informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. Dans les locaux de rétention, cette garantie n’est pas rendue obligatoire par le décret de 2005 (comme précédemment par celui de 2001) qui prévoit seulement que les étrangers « peuvent » bénéficier du concours d’une association « à leur demande ou à l'initiative de celle-ci ». D'ailleurs, la convention passée entre l’Etat et la Cimade, renouvelée en 2002 et 2006, prévoit l'intervention de cette dernière dans les centres et non dans les locaux de rétention administrative. Enfin, alors que la liste des CRA est fixée par arrêté interministériel, il n'existe toujours pas d'obligation pour l'administration de tenir à jour et de publier l'inventaire des LRA ouverts sur le territoire national.
2 - Un contrôle insuffisant
Loin d’être marginal, le recours aux locaux de rétention se développe. Selon les données fournies par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), 9 674 étrangers y ont été maintenus en 2005 pour tout ou partie de leur rétention, contre 5 890 en 2002. Certains LRA ont une fréquentation équivalente à celle d'un centre de rétention. Le local de Choisy-le-Roi, par exemple, ouvert par le préfet du Val-de-Marne par arrêté du 22 juin 2001, accueille près de 1 500 étrangers par an. La DLPAJ a transmis à la Cour plusieurs inventaires différents des LRA permanents ouverts en métropole. Le plus récent, arrêté en mai 2006, en comportait 73, un grand nombre ayant été ouverts récemment. En revanche, certains, pourtant toujours en fonctionnement, ne figuraient pas sur cet inventaire, comme celui d’Amiens. Le recours aux locaux de rétention administrative est parfois non conforme aux textes. Déjà, les informations transmises en 2004 par la DLPAJ et la DCPAF sur la durée de séjour dans les LRA ont montré que le délai légal maximal de 48 heures pouvait être largement dépassé pour une proportion importante des étrangers retenus. Dans au moins neuf LRA sur 73, la durée moyenne de séjour des étrangers retenus était en 2005 comprise entre quatre et neuf jours. Certes, le maintien dans des tels locaux peut excéder 48 heures en cas de recours formé devant le tribunal administratif ou la cour d'appel, s'il n'existe pas de CRA dans le ressort de ces derniers. Cependant, la fréquence des recours ne suffit pas à justifier les durées observées. D’ailleurs, la durée moyenne de rétention dans certains locaux, comme celui de Versailles, dépasse 48 heures bien qu’ils soient situés dans un département doté d’un CRA dans les ressorts de la cour d’appel et du tribunal administratif. Un certain nombre de locaux de rétention administrative sont utilisés en lieu et place des centres de rétention. Certains étrangers y sont maintenus jusqu'à leur éloignement du territoire national. Cette constatation est corroborée par le décalage existant entre le nombre de reconduites à la frontières (19 841) enregistrées par la DCPAF et le nombre d’étrangers éloignés (17 198) à leur sortie des CRA au vu des statistiques de la DLPAJ. Par conséquent, la réglementation en vigueur tolère, sans prévoir un dispositif suffisant de contrôle, une dérogation importante au régime de droit commun applicable aux étrangers maintenus en rétention administrative. En période de saturation des capacités d'accueil des CRA, ce régime ambigu ne peut qu’encourager la multiplication des locaux de rétention administrative à caractère permanent et provoquer des risques d’abus.
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